Regards croisés | Etre chef·fe coutumier au Nord Kivu en 2024 | Portrait 2-3

Hamuli Kahima, chef traditionnel du village de Karuba

En RDC, RCN J&D met en œuvre des activités de promotion des droits des femmes afin qu’elles jouent un rôle plus actif dans les mécanismes de résolution de conflit au sein de leurs communautés. RCN J&D cible particulièrement les chefs de village, qui sont des acteurs incontournables dans la résolution des conflits au niveau local étant à la fois les autorités coutumières et les représentants de l’autorité de l’État. La fonction des chefs est héréditaire, et les chefs sont les émanations du pouvoir coutumier. Ce pouvoir tire sa source des ancêtres et se limite au sein d’une famille dite « régnante ». Outre l’appartenance familiale, la légitimité des chefs est aussi dérivée de leur exemplarité et traitement de la population. Le fait d’être « digne » de la position de chef solidifie et concrétise son pouvoir, d’autant plus dans le cadre du règlement des litiges. La confiance que suscite le chef aux yeux de la population est un facteur déterminant dans le recours à ce premier.

RCN J&D soutient son partenaire Congo Men’s Network (COMEN) dans la promotion des masculinités positives en engageant les communautés et les hommes vers la prévention et la réponse à la violence fondée sur le genre et toutes les formes de violence et d’oppression envers les femmes et les enfants. COMEN soutient la mise en réseau des acteurs communautaires avec les mouvements de femmes pour l’autonomisation des femmes et de promotion des droits des femmes. C’est dans ce cadre que COMEN forme et sensibilise également les chefs de village pour qu’ils deviennent à leur tour des acteurs de changement.

Grâce à ces différentes actions auprès de communautés ciblées dans les territoires du Masisi, des changements sont observables. Les hommes chefs coutumiers nomment des femmes dans leur cercle de pouvoir, comme Hamuli Kahima, qui a récemment nommé 16 femmes à des postes à responsabilité.

Entretien avec Monsieur Hamuli Kahima, Chef traditionnel du village de Karuba dans le Groupement Mupfunyi Karuba, Chefferie de Bahunde, Territoire de Masisi, facilitateur d’un groupe de réflexion de ses pairs engagés à la masculinité positive.

« Mon Entité coutumière bénéficie désormais des compétences des femmes de la communauté » .

En tant que Chef traditionnel, gardien de la coutume, j’avais toujours des hommes autour de moi, en qualité de conseiller dans la gestion de mon entité coutumière. Ils pouvaient ainsi donner leurs points de vue dans le traitement de tout dossier. Jamais une femme ne pouvait accéder au cercle du conseil coutumier, rôle réservé jadis exclusivement aux hommes. La place de la femme était donc ailleurs, plus loin ailleurs. En tant que coutumier avéré, on ne pouvait ni imaginer ni autoriser une femme à intégrer le cercle coutumier. Ce serait s’attirer la foudre, si pas la colère, des aïeux. C’est ce que nous avions cru et appris dès le bas âge.

Notre village est appuyé par l’association COMEN, partenaire de RCN Justice et Démocratie, pour nous accompagner dans le renforcement des capacités en genre et masculinités positives. En août 2022, j’ai été coopté parmi les facilitateurs chefs traditionnels afin de modérer et accompagner le groupe de réflexion auto-animé avec mes pairs chefs traditionnels. J’anime donc des séances de masculinités positives pour un groupe de chefs. Chaque semaine, nous nous réunissons et chaque séance a un thème spécifique. Les séances sur « les différentes roues de changement », « la participation des femmes à la gestion inclusive de la chose publique à la base » et « la reconnaissance des talents des femmes dans la communauté » ont rapidement influencé mon regard face à la femme et progressivement ma conscience se sentait interpellée. Les exemples des femmes qui ont réussi ailleurs, les échanges et débats autour des différents thèmes (comme l’intégration de la dimension genre dans la résolution des conflits, les obstacles culturels coutumiers face aux formes de discrimination à l’égard de la femme, les violences basées sur le genre et les droits de la femme) m’ont vite convaincu de ce que peut être l’apport d’une femme dans la gestion de mon entité. Alors, j’ai décidé d’intégrer la femme dans mon pouvoir et j’ai nommé 3 femmes membres du conseil coutumier du village, 5 femmes Kapita (les Kapita sont des villageois·es qui occupent au bas niveau des fonctions de gestion administrative) et 8 femmes responsables de chaque 10 maisons.

Depuis l’intégration de ces 16 femmes dans le cercle du pouvoir, elles assurent pleinement et honnêtement leurs tâches. Aucune plainte relative à leur gestion n’a été enregistrée et cela me rassure davantage de leurs compétences. Elles participent aussi activement et valablement au développement de mon entité coutumière, ce qui fait également mon estime et ma fierté au sein de la population villageoise. Je me vois ainsi en train de donner à mes pairs chefs coutumiers un modèle à imiter pour faire progresser la place de la femme face à nos us et coutumes.


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