La pandémie de COVID-19 en Belgique, une menace pour la démocratie ?

Article rédigé par Laurence Dalcq, chargée de projet digital RCN J&D

Le 15 septembre, nous célébrerons la Journée internationale de la démocratie, l’occasion d’observer l’état de la démocratie dans le monde. Le peuple y est souverain et l’égalité, la liberté, le respect des droits humains ainsi que le vote en sont les piliers. Qu’en est-il en temps de crise sanitaire ? La pandémie de COVID-19 représente-t-elle une menace à la démocratie ? Quelle est la place du citoyen dans la prise de décision quant aux mesures sanitaires ?

L’importance de l’État de droit

L’État de droit[1] se caractérise par la prééminence du droit et la soumission de toutes et tous à la loi. Ce système suppose un équilibre entre les différents pouvoirs. En Belgique, l’État est réparti entre trois pouvoirs : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Chacun d’entre eux contrôle et limite les autres pouvoirs. Faire fonctionner correctement ce système et veiller au respect de la démocratie et des droits fondamentaux qui en découlent est la responsabilité de chaque citoyen.ne. Plus que jamais, la pandémie de COVID-19 met en lumière le rôle fondamental des organisations citoyennes, des organisations et des fédérations œuvrant au respect de l’État de droit.

Les parlements sont par définition garants de nos droits et libertés. Ils ont pour rôle de représenter les citoyens. Pourtant, selon Eric Gillet, Président de RCN Justice & Démocratie, l’État de droit se dégrade depuis une vingtaine d’années, la justice ayant été progressivement délaissée par les législateurs et par les exécutifs[2]. Il avance que « tant les citoyens que le monde politique qui les représente et exerce le pouvoir en leur nom ont perdu la conscience des enjeux de la justice pour l’existence même de la démocratie ».

Éric Gillet affirme également que la logique de marché à laquelle serait soumise la justice entraine une restriction de l’accès à la justice par les citoyens. Dans cette optique, la justice ne serait pas reconnue à sa juste valeur : un service essentiel, qui l’est d’autant plus en temps de pandémie. Parallèlement à cela, Éric Gillet dénote le fait qu’il faille produire plus de décisions avec moins de juges « comme dans une usine » et la déshumanisation de la justice causée par le recours à l’intelligence artificielle. Cette dernière, selon lui, est d’ailleurs utilisée à outrance, sous couvert de COVID-19 et tend à l’élimination de la plaidoirie.

La fragilisation de nos droits fondamentaux en temps de pandémie et la dégradation progressive de l’État de droit peut conduire à des démocraties dormantes, voire à accroître l’autoritarisme. L’État de droit est le seul garant de nos démocraties et il est impératif de le protéger.

Recours à la démocratie en temps de crise

La démocratie est fondamentale pour faire face à la pandémie de COVID-19 dans le monde. Le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres le déclarait, « Alors que le monde est aux prises avec le COVID-19, la démocratie joue un rôle vital en ce qu’elle assure la libre circulation de l’information, la participation à la prise de décision et l’application du principe de responsabilité dans le cadre de la lutte contre la pandémie »[3].

Cette crise sanitaire oblige depuis maintenant 18 mois les États du monde entier à adopter des mesures d’exception. Ces mesures se doivent de respecter l’État de droit, les normes internationales et les droits humains (particulièrement : la liberté d’expression et de la presse, la liberté d’information, la liberté d’association et de réunion). Elles doivent également être nécessaires, proportionnées et non discriminatoires. C’est la responsabilité des gouvernements et de tout.e citoyen.ne de veiller à ce qu’il en soit ainsi. Dans ce contexte, les organisations de la société civile ont un rôle crucial. Elles participent activement à l’éducation citoyenne mondiale et solidaire, à l’éducation aux médias et à l’information et à la lutte contre les violences sexistes (exacerbée durant les confinements), entre autres.

Le 3 mai dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le Conseil de l’Europe a communiqué sa préoccupation en raison des agressions et menaces constatées envers des journalistes dans plusieurs parties d’Europe[4]. La liberté de la presse est l’un des principes fondamentaux de la démocratie, en ce qu’il permet d’analyser et critiquer les mesures prises par les gouvernements.

Plus récemment, en juillet dernier, la Commission européenne a publié son rapport 2021 sur l’État de droit[5]. Elle y décrit la situation globale de l’État de droit en Union européenne ; certaines améliorations ont été observées par rapport au rapport 2020 mais des évolutions négatives ont été constatées dans certains États membres. Concernant la Belgique, la Commission européenne pointe du doigt un manque de disponibilité de moyens humains et financiers dédiés au système de justice, un manque de données judiciaires cohérentes, fiables et uniformes et la longueur des délais dans certaines cours d’appel.

En Belgique, La Ligue des droits humains (LDH) et son équivalent néerlandophone la Liga voor Mensenrechten ont introduit une action contre l’État, doutant de la légalité des arrêtés ministériels (absence d’approbation parlementaire) pris par la ministre de l’intérieur. La présidente de la LDH, Olivia Venet déclarait en février dernier que « cette concentration des pouvoirs entre les mains du pouvoir exécutif, sans qu’aucun contrôle parlementaire n’intervienne, n’est plus tolérable »[6]. Suite à cela, le tribunal de première instance de Bruxelles a condamné l’État belge, laissant aux autorités 30 jours pour rédiger un texte de « loi pandémie » afin de donner un cadre démocratique aux décisions. En mai dernier, c’est le secteur culturel belge qui introduisait une action contre l’État. Il dénonçait l’illégalité des mesures d’application et la discrimination dont il se sentait victime par rapport à certains autres secteurs, eux, considérés par le gouvernement comme essentiels.[7]

Ces exemples sont l’illustration de l’importance du rôle de la justice et de la mobilisation citoyenne pour protéger l’État de droit, particulièrement dans le contexte de pandémie de COVID-19.


[1] État de droit : C’est la prééminence du droit et la soumission de toutes et tous à la loi. L’adhésion à cet État de droit s’articule essentiellement entre les débiteurs d’obligations et les détenteurs de droits, dans une approche basée sur les droits humains. Par définition, l’État de droit, régit l’ensemble des composantes de la société, de la société civile à l’autorité politique, qui doivent ancrer leurs relations dans une redevabilité mutuelle inscrite dans le droit. En s’appuyant sur la primauté de la justice, le projet favorise l’égalité de tous devant la loi et la soumission de tous (gouvernants et gouvernés) à la loi.

[2] Éric Gillet, EG. (2021, 10 février). Prenons garde à ne pas tomber dans les simulacres de la démocratie. https://www.lalibre.be/debats/opinions/2021/02/10/prenons-garde-a-ne-pas-tomber-dans-des-simulacres-de-democratie-IGWX5N2BIVAKTCFFEICHRTK3QQ/

[3] Nations Unies. Journée internationale de la démocratie. https://www.un.org/fr/observances/democracy-day

[4] Conseil de l’Europe. Journalisme et covid-19 : La liberté de la presse est essentielle en temps de crise. https://www.coe.int/fr/web/portal/-/journalism-and-covid-19-press-freedom-is-essential-in-times-of-crisis

[5] Commission européenne. Rapport 2021 sur l’État de droit. https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/communication_2021_rule_of_law_report_fr.pdf

[6] RTBF. La Ligue des droits humains attaque l’État belge en justice : « On demande au Parlement d’adopter un cadre légal » pour les mesures sanitaires. https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_la-ligue-des-droits-humains-attaque-l-etat-belge-en-justice-les-mesures-sanitaires-doivent-faire-l-objet-d-un-debat?id=10702877

[7] Le Soir. Coronavirus : le secteur culturel attaque l’État en justice. https://www.lesoir.be/370700/article/2021-05-06/coronavirus-le-secteur-culturel-attaque-letat-en-justice


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