Témoignages

 

Février 2015, témoignage de Nelly KARIRE

Juriste membre de l’Association des juristes catholiques du Burundi, partenaire de RCN J&D

Le témoignage suivant a été recueilli en Février 2015 auprès de Nelly KARIRE, juriste membre de l’Association des juristes catholiques du Burundi (AJCB), partenaire de RCN Justice & Démocratie (RCN J&D) au Burundi. Dans le cadre du projet « Pour une Justice de Proximité renforcée », l’AJCB offre notamment des services d’écoute et de conseil juridique et contribue à la conduite du monitoring de la justice de proximité.

Quelles sont les activités de RCN J&D auxquelles vous contribuez ?

Actuellement, je participe à l’activité « Monitoring de la Justice de Proximité (JP) ». Cette activité d’observation et d’analyse vise à mesurer les perceptions et le degré de connaissances des justiciables sur la JP, de même que l’accessibilité, la transparence et l’efficacité des différents acteurs. Les résultats de cette activité permettront d’identifier les besoins et de proposer des améliorations.

Aviez-vous déjà participé à la conduite d’une enquête ?

Auparavant, j’allais constater des faits : les irrégularités au sein des lieux de détention. Le monitoring de la JP se fait à un niveau plus avancé. Il couvre la justice en général et étudie aussi les perceptions, ce qui est très différent.

En quoi cette activité renforce vos compétences ?

RCN J&D m’a fait suivre une formation qui m’a été d’une très grande utilité. Ensuite, ma participation au monitoring m’a permis de rencontrer un autre type de public que celui qui se rend dans les centres de l’AJCB : ceux qui n’ont jamais été au tribunal, qui disent qu’ils n’ont jamais eu de conflit, mais qui, en fait, en ont eu mais n’ont pas su à qui s’adresser. J’ai profité de l’occasion pour informer les enquêtés des procédures qui leur permettraient d’obtenir justice.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez en pratique, au cours du monitoring ?

Les difficultés que nous rencontrons sont liées aux irrégularités judiciaires. Les gens se montrent résistants aux questions que nous posons et répondent parfois d’une façon colérique parce que ces questions (sur la corruption, notamment) correspondent à ce qu’ils vivent actuellement.

Quel serait votre souhait pour la justice en général au Burundi ?

Il est important que les juges puissent s’estimer eux-mêmes. Aujourd’hui, un justiciable doit donner quelque chose pour que son dossier avance. C’est déshonorant des deux côtés. Il faudrait que les juges aient les moyens de mieux travailler. C’est pourquoi je demande au gouvernement du Burundi d’améliorer ses stratégies, pour que la justice devienne une réalité pour la population.

 

Juillet 2010, Bribes de paroles sur les élections de 2010 au Burundi

Propos recueillis par Sylvère Ntakarutimana, assistant communication, Burundi et traduction par Danny Claire Nkuriyike, responsable de projet, Burundi

Quelle est votre vision des élections de 2010 ?

Jewe nabonye ko aya matora ya 2010 aratandukanye mbona afise ubudasa n’ayabaye muri 1993, na 2005 nkuko mwabivuze murabona yuko aya 1993 yari afise tendance yo gukura abantu ku butegetsi abantu bari bahamaze igihe. 005 naho igihugu cari kimaze imisi myinshi mu ntambara abanyagihugu bagomba baronke ikintu kibakingira kuko bama bariko bariruka imisi yose, ukuntu bama bariko barahunga baja mu bindi bihugu ivyo vyose vyaratuma bavuga bati turakeneye akaruhuko nagatoyi.

 Kubijanye n’ayo matora ya 2010 tubona ari amatora y’ivyizigiro kuko tugeze muri démocratie nziza cane, igituma mvuze uko n’uko imigambwe yose abantu bose baripfuza yuko bokwitoza mu migambwe yabo nk’ubu dufise ngirango abarenga 10 bagomba kuba abakuru b’igihugu. Imigambwe yose izogerageza kurondera yuko yoronka abashingamateka, abakenguzamateka, aba conseillers communaux ivyo vyose duca tubona yuko bizogira akarusho. Il est vrai démocratie ntishobora gutera imbere mu gihe igihugu kidateye imbere.

A mon avis, les élections de 2010 seront différentes de celles de 1993 et de 2005. En effet, celles de 1993 avaient pour but de chasser tous les dirigeants qui étaient au pouvoir depuis bien longtemps. Lors des élections de 2005, qui venaient après un long moment de guerre, les populations attendaient un pouvoir qui puisse les protéger, parce que les gens étaient fatigués de courir et de fuir sans cesse. Ils aspiraient à un moment d’accalmie.

Je pense que les élections de 2010 représentent un espoir (*) car la démocratie semble s’être bien installée, la preuve en est que nous avons plus d’une dizaine de candidats aux présidentielles et que presque tous les partis sont en course pour avoir des représentants au sein des différentes institutions (Parlement, administrations de base). Tout cela aidera à améliorer la situation du pays. Mais il est vrai aussi que la démocratie ne pourra avancer que si le pays se développe.

Les élections de 2010 seront soit un vote d’encouragement, soit un vote sanction. Ainsi, si le CNDD-FDD les gagne cela voudra dire qu’il aura satisfait la population, qu’il aura honoré ses engagements. Mais s’il les perd, la population aura montré son insatisfaction par rapport aux réalisations de ces cinq dernières années.

Muri aya matora ya 2010 ivyo abanyagihugu bari biteze muri 2005 surtout la sécurité kuko batoye umugambwe ufise igisoda kugira bashobore kuronka umutekano baca basanga sivyo, urabona ko ubwicanyi bwabandanije, hari ikivugwa nk’ubusuma, ibiciro vyaraduze, la vie est chère ahariho hose bavuga scolarité gratuite ariko siko biri. Bimwe vyo gutora umugambwe wobakingira nibaza ko atariko bimeze bazotora umuntu bataravye ubwoko.

En 2005, les gens ont voté pour le parti composé d’ex-combattants afin d’en finir avec la guerre et parvenir à vivre en paix. Mais ils se sont trompés car l’insécurité a persisté ici et là, et les tueries ont continué, sans parler du banditisme. Même la sécurité alimentaire n’est pas assurée et la vie reste très chère. On n’arrête pas de vanter certaines mesures progressistes comme par exemple la scolarité gratuite, mais elle n’est pas si gratuite que ça. Avec toutes ces désillusions, le vote de la population pourrait ne plus être un vote ethnique ou sécuritaire. Les gens éliront le candidat qui saura le mieux venir à bout des difficultés de vie des populations.

Craintes et inquiétudes par rapport aux prochaines élections

Jewe nagumanye ibibazo vyinshi, aha turiko tuvuga les enjeux, turiko tuvuga ama craintes mugabo aho twari gutangurira siho twatanguriye. Si on avait déjà soldé ibintu vyahise tukinjira muri bishasha, ariko tuja mu matora hariho ibintu twasize inyuma. Nk’ivya justice transitionnelle, hagira haze abantu bitoza kumbure aribo batumye izi ngorane ziba. Icari gikenewe tudashoboye gukora nibaza ko coba les premiers enjeux ku ntwaro izokurikira. Abakoze nabi doivent être disqualifiés kwinjira bakaraba ahandi babashira tugakorana n’abandi bantu bashoboye kwizigirwa.

Avant d’organiser de nouvelles élections, il aurait fallu résoudre certaines questions cruciales comme par exemple la question de la justice transitionnelle pour asseoir une paix durable. Il y a des candidats aux élections qui pourraient être à l’origine des drames que le pays a connus. Punir et écarter tous ceux qui auraient participé d’une manière ou d’une autre au conflit burundais n’a pas été fait et devrait être un enjeu prioritaire pour le nouveau pouvoir, afin d’assainir les institutions. Ainsi, nous aurions des dirigeants qui mériteraient notre confiance.

Nagomba kuvuga inquiétude z’ibintu vyoba bijanye n’amatora twimirije. Twumvise démocratie umenga n’igihe umunyagihugu aronse akanya ko guserura iciyumviro ciwe kandi ukamenga tuvuye muri vya bihe vy’akarenganyo ariko nk’umunyagihugu abirabisha amaso. Mu 1993 habaho gutyozanya ntavyo gushiranako igipfunsi vyabaho. Muri 2005 naho hariho ivyongeyeko gusumba mu buryo bwo gutyozanya no mu buryo bwo gusharikana. Amakenga mfise ni uko imigambwe iguma itana mu mitwe.

Quand on entend parler de démocratie, on s’imagine que c’est un moment pour chaque citoyen d’exprimer ses opinions, mais ce n’est pas ce qui s’observe. En 1993, la confrontation était plutôt verbale que physique. Mon inquiétude par rapport aux prochaines élections concerne la violence qui s’installe entre les membres des différents partis politiques, qui ne cessent de se bagarrer voire de s’entretuer.

Ivyo bamye bavuga vyerekeye ingene dépouillement izogenda naho twovuga ico conyene muri code électoral ngo vyubatse nabi cane. Bavuga ko abantu bazoba bariko baraharura bazohava biheze. Baharuye basanze bifashe umwanya muto vyotwara imisi itari musi ya cumi. Mbwira uwo muntu azomara imisi 10 atavuye aho hantu.

Mon inquiétude concerne également le moment du dépouillement des votes. En effet, on dit que les membres des bureaux de vote qui compteront les bulletins ne pourront quitter les bureaux de vote qu’une fois le dépouillement terminé ; or, d’après certaines estimations, le dépouillement pourrait durer au moins 10 jours. Qui pourrait passer tout ce temps assis dans un bureau de vote ?

Signes d’espoir

Signe d’espoir ya mbere, la CENI gushika ubu yigenza neza, commission nationale indépendante iriko ikora neza. Iyindi signe d’espoir mbona umenga amakungu ariko aragerageza, n’aba observateurs hazoza ari benshi.

Un premier signe d’espoir, c’est que la Commission Electoral Nationale Indépendante a gardé une bonne ligne de conduite jusqu’ici, elle travaille bien. Par ailleurs, la communauté internationale suit la situation, beaucoup d’observateurs internationaux seront présents durant les élections.

Muri 2005 wasanga umugambwe umwe ufise plus de 65 % uravye rero les sondages naho bashiraho corde ethnique. Hamwe rero abandi bokina la vraie politique, bakagira une certaine coalition, umuntu azobibona après les élections communales. Uyu mu Président yotorwa en tant qu’individu nibaza ko bazomutora abanyagihugu. Ariko azoba atwara parlement qu’il ne contrôle pas donc ya mategeko yose bapfa gucishaho uko bishakiye ntibizoba bigikunda. Iyo ni signe d’espoir ntihazoba des débordements. Aho rero umunyagihugu azoca ahatorera akoyoko. Ibintu vya ndatanze itegeko bizoba bihavuye. D’après ce qui s’observe sur terrain, il serait fort probable qu’aucun parti ne récolte plus de 65% des votes comme lors des dernières élections de 2005. Les tendances réelles ne pourront ressortir qu’après les élections communales. Le président sera élu au suffrage universel. Mais il risque d’être doté d’un Parlement qu’il ne contrôle pas. Par conséquent, il ne pourra pas légiférer comme il veut. Il n’y aura plus de « je décide, j’ordonne que… ». Les citoyens pourraient y gagner un mieux vivre.

 

Avril 2010, Animations communales à Kayokwe

Cyprien Siyomvo, chargé d’action animation

Quand le sort semble s’acharner sur le déroulement d’une projection de la pièce « Burundi, simba imanga (Burundi, passe le précipice) »

Commune Kayokwe, province Mwaro, vendredi 16 avril 2010. Il est 8 heures 30mn, les personnes conviées à la projection de la pièce « Burundi, simba Imanga » et au groupe de paroles qui suivra la projection sont toutes au rendez-vous.

Cette action s’inscrit dans le cadre de l’activité « animations communales » initiée par RCN Justice & Démocratie depuis 2009.

L’activité consiste à organiser des échanges sur le conflit burundais et ses voies de transformation.

Une ultime vérification du matériel de projection et opérée ; tout semble se dérouler à merveille : les animateurs sont prêts, les invités sont là, l’équipe de RCN Justice & Démocratie est déjà sur place et jour de chance, il n’y a pas de délestage, la localité est donc alimentée en courant électrique.

Nous sommes-nous réjouis trop vite ? Eh oui, lorsque l’on s’apprête à lancer la projection de la pièce, une panne de courant électrique survient, au grand dam de toutes les personnes présentes. Que faire dans pareille situation ? L’unique alternative possible est de louer un groupe électrogène. On commence alors à réfléchir, à se demander où trouver ce type d’équipement. Après un moment de discussions, un des participants finit par nous dire qu’il n’y a qu’un seul groupe dans la localité appartenant à un salon de coiffure.

Dieudonné, l’un des animateurs communaux, prend son téléphone et appelle le propriétaire du groupe électrogène. En moins de 2 minutes l’affaire est conclue : le matériel est mis à notre disposition et le salon de coiffure devra attendre la fin de la projection pour reprendre ses activités.

Une vingtaine de minutes (qui nous ont paru être une éternité, tellement tout le monde désespérait) auront été nécessaires au technicien pour démarrer le groupe. Enfin, la projection débute. Tout le monde, soulagé et satisfait, suit la pièce avec une grande attention.

Mais c’était sans compter sur le sort qui semblait s’acharner sur nous ! Après une demi-heure, le groupe, décidément très capricieux, tombe en panne ! Et de rappeler le technicien qui, malgré tout son savoir et les supplications du public brûlant d’impatience de poursuivre la pièce, ne parvint pas à faire démarrer le groupe.

Que faire ? Le courant électrique ne veut pas revenir, le seul groupe de la localité est en panne, tout le monde est découragé, désarmé mais cependant personne ne veut abandonner et rentrer ; c’est à croire que chacun dans son for intérieur espérait, croyait à un miracle… Et le miracle fut !!!!!

En effet, alors que l’on commençait à désespérer, le courant revint, un tonnerre d’applaudissements l’accueillit et comme de petits écoliers, les participants regagnèrent presque en courant leur place, pour assister au reste de la projection, qui se déroula jusqu’au bout sans autre embûche.

Notre prière finira par être exaucée car il n’y aura plus d’autres désagréments ce jour-là. Eh oui, nous avons passé le précipice !

 

Janvier 2010, L’émission radio : Ubutungane mu Burundi

Sylvestre Barancira, coordonnateur de mission, RCN-Burundi, Bulletin juin 2008

Pourquoi produire une émission radiophonique sur l’histoire de la justice au Burundi ? L’idée est née d’une intuition et d’un constat. Pour construire le futur, il faut connaître son passé, mais la connaissance de l’évolution de la justice au Burundi risque de disparaître avec la disparition physique des acteurs ayant contribué à son histoire.

Par cette action insolite, RCN Justice & Démocratie a souhaité contribuer à la conservation d’une mémoire orale, plurielle et non polémique sur les principes et les évolutions de la justice au Burundi.

Dans son élaboration et sa mise en œuvre, cette action a permis d’établir un pont entre le siège de RCN Justice & Démocratie en Belgique et la mission du Burundi, permettant ainsi d’interroger en les dépassionnant les liens historiques qui existent entre ces deux pays. C’est la Belgique qui a introduit le droit positif au Burundi, contribuant quelque peu à la crise des systèmes traditionnels de régulation des conflits fondés sur la tradition ancestrale et les valeurs monarchiques.

Une recherche documentaire au musée de Tervuren a permis de rassembler une grande quantité de documents d’archives portant sur la culture et l’histoire de la justice au Burundi, et notamment sur la période coloniale. A l’issue du travail d’archive, une bibliographie a été constituée ainsi qu’une chronologie [1].

Cet inventaire chronologique retraçant les grandes étapes de l’histoire de la justice au Burundi a servi de cadre dans l’identification des personnes à interroger. Les témoignages de personnalités du monde de la justice au Burundi constituent le cœur de l’émission, éclairant la construction de la justice burundaise de leurs récits. Ces personnes sont interrogées sur leur propre expérience, leurs ressentis et points de vue personnels comme acteurs et témoins d’une période plus ou moins longue, celle-là même qu’ils connaissent le mieux. L’émission essaie de dépasser les polémiques historiques et les discours idéologiques et tente de croiser les dires des uns et des autres sans forcément tenter de les mettre d’accord.

Si ce projet s’avère délicat et fastidieux dans sa réalisation, l’aventure est passionnante et riche en enseignements.

Pour beaucoup de personnes interrogées, c’est la première fois qu’elles ont eu l’occasion de s’exprimer sur la question controversée de l’histoire du Burundi ou de procès historiques.

 

Notes

 

[1] Merci à Aurore Van de Winkel pour sa grande contribution dans la collecte des documents d’archives et leur traitement.


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