Refonder le système judiciaire en Afrique en revisitant son passé

Il n’est pas ici  question de revenir au passé précolonial, pas plus que s’en tenir à la poursuite du système hérité du colonialisme quand il reste exogène.

Il ne s’agit pas ici non plus de le faire à la place de quiconque. Ce serait en effet paradoxal. Mais le système juridique et judiciaire est une œuvre commune des congolais et des experts occidentaux. C’est donc bien dans un juste équilibre de ces acteurs que ceux-ci ont vocation  à penser ce système.

Or, des intellectuels des sciences humaines et des juristes européens et africains  convergent vers une volonté de métissage et ou de pluri juridisme qui serait une étape de la modernité du droit et du système judiciaire. Pour que modernité il y ait, il faut mieux connaître  la justice coloniale afin de mesurer ses fondements et d’évaluer sans préjugés en quoi ces fondements sont encore pertinents. Il convient aussi de voir et aussi évaluer si l’attachement à ce droit n’est pas surinvesti et n’entrave pas sa transformation et son évolution parallèlement à celle du contexte contemporain. Dans ce sens, la décolonisation serait accomplie ou achevée et le droit congolais de type germano-romain serait affranchi de ce qui contribue à  sa désuétude ou son inachèvement.

Cet article en est une contribution.

Il est convenu généralement que les lois qui gouvernent  les sociétés occidentales procèdent de leurs interdits, de leurs  mœurs, de leur culture, de leur tradition et de leurs projets. La démocratie est sans aucun doute le système le plus apte à tisser ce lien entre le sens des lois, leur émergence et leur légitimité. Il est également vrai que les lois ont parfois imprimé à la société de nouvelles visions et pratiques.  Le droit est alors un facteur de progrès indéniable, mais ce progrès est, dans ces cas, soutenu par des mouvements influents de la société. L’absence ou la fragilité de la démocratie explique à contrario les distorsions entre un peuple et ses lois. Quand la dialectique fonctionne entre le désir de la loi et sa mise en œuvre, le droit (instituant) et le temps (institué) fondent ensemble la loi. Le temps est en effet l’indicateur de la loi : soit elle devient désuète et si l’indicateur est suivi, on la supprime. Soit elle est appliquée et aussi longtemps qu’elle est applicable, elle reste dans le corpus judiciaire.

La question qui se pose, notamment au sujet du droit congolais,  est de savoir si la dialectique entre le temps et les lois du droit germano-romain fonctionne. N’y a-t-il pas de nombreuses lois qui pourraient être qualifiées de désuètes, faute d’être appliquées ou, autre sujet, d’être applicables. L’applicabilité de la loi serait à mesurer dans le temps qui précède la loi, à priori, alors que sa désuétude serait à mesurer à postériori.

Avant l’indépendance du Congo, les belges avaient mis en place un système judiciaire dit « ad hoc » pour les populations congolaises : les tribunaux coutumiers. L’idée de leur mise en place et de leur disparition au fur et à mesure de l’occidentalisation du pays procédait de plusieurs besoins : l’impossibilité  d’installer les tribunaux de paix dans le pays-continent, la volonté de l’Etat colonial de contrôler tous les justiciables via un système unifié, etc….Certains des magistrats les plus ouverts projetaient sur  ces tribunaux une réelle fonction et un réel pouvoir dans des matières civiles comme les successions, le mariage, les affaires foncières. Leur attention à la synergie entre la culture et la loi était manifeste.

Ainsi Sohier  (futur président de la cour de cassation en Belgique) écrivait ceci en 1932[1] : « les nouvelles juridictions (coutumières) ont une existence artificielle, rabaissent ou détruisent le pouvoir des grands chefs au lieu de le consolider et les anciennes juridictions continuent de fonctionner en marge des tribunaux coutumiers reconnus….la juridiction de ce grand chef est appelée à traiter des grandes causes ….pas (à devenir) un tribunal de police seconde mouture…. ».

On comprend en lisant cet extrait qu’au lieu de valoriser ces juridictions, les administrateurs de territoire en avaient fait des tribunaux au rabais, qui plus est en intervenant eux-mêmes parfois dans les jugements, au mépris de la séparation des pouvoirs, principe de base de notre modèle d’état de droit. De plus, au-delà de la volonté du procureur Sohier, la méconnaissance des systèmes de pouvoir coutumier, notamment ceux qui étaient acéphales, et la nomination de chefs par les administrateurs belges plutôt que dans le respect des modes congolais d’accès au pouvoir, rendaient illusoires la réussite de cette tentative. Quant aux congolais qui commençaient à accéder au système belge, ils ne mesuraient sans doute pas à l’époque l’importance d’une restauration dans leur droit des mécanismes traditionnels de justice. Ils abandonnèrent la prise en compte de ces tribunaux. Lors de la zaïrisation, il n’y eu, à notre connaissance, pas de refondation du droit.

Depuis 20 ans, en République Démocratique du Congo[2] et au Burundi[3], RCN Justice & Démocratie observe ces distorsions. Il les analyse également au Rwanda[4]. De nombreux articles de son bulletin traitent également cette matière dont celui de Jacques Vanderlinden, professeur émérite en histoire du droit à l’Université Libre de Bruxelles.

Pourquoi relancer la question de l’adéquation du droit avec une société ? Parce qu’il faut sortir le sujet de sa gangue théorique et chercher des solutions pratiques aux problèmes énoncés.  Lesquels ?

Un premier se situe en amont, durant  l’écriture des lois. Dans les Etats pourvus de moyens, les lois font l’objet d’apports de sociologues, de politologues, d’experts dans les matières à légiférer, ce qui garantit l’adéquation et la faisabilité ou sa « concrétisabilité » de celles-ci. Faisabilité, intelligibilité  figurent parmi les conditions d’un état de droit. L’article 34 de la Constitution de la France, par exemple, induit une jurisprudence qui  exige que la loi  soit intelligible. Une loi incompréhensible ne participe pas d’un état de droit. Certains vont plus loin dans les critères : ils parlent de la faisabilité de la loi même quand cette loi veut marquer un progrès.

Un second concerne l’effet dévastateur que peut provoquer une loi quand elle est inadaptée au contexte. En Ituri, RCN a expérimenté un appui à la justice de paix qui, par son jugement relatif à un conflit de terres basé sur les lois d’acquisition de la propriété a excité les personnes déboutées à brûler et tuer au nom du droit à la terre décliné par la coutume ou les usages. Si bien  que parfois pour éviter un nouveau conflit, celui qui a gain de cause au tribunal de paix ne fait rien pour forcer le perdant à exécuter ce qui relancerait le conflit. Les rapports de RCN sur la  justice en RDC fustigent la non-exécution de la majorité des décisions judiciaires depuis des années.

Un troisième concerne l’inapplicabilité des procédures pénales, leur caractère non concrétisable induit forcément d’autres modes de gestion praticables. L’étude sur la garde à vue de RCN en RDC, montre par exemple, comment les officiers de police judiciaire sont aussi des conciliateurs et des percepteurs.

RCN relève d’autre part des solutions. Leur genèse est souvent endogène. Au Rwanda, le pays a pris ses distances avec le droit germano-romain ou anglo-saxon. La genèse des lois fait l’objet d’une préparation importante. Ainsi les tribunaux gacaca qui jugèrent des milliers de prévenus du crime de génocide tenaient compte de ce critère de la faisabilité en inventant un droit applicable, adapté à ses moyens financiers et à la culture des habitants. Il en est de même pour la gestion des conflits fonciers et de la justice de base. Les étrangers n’y prirent pas une part créative importante, confiants dans  les moyens et compétences et donc allégeant les modes de financement de la justice via un appui budgétaire plutôt que via des bureaux d’experts ou des organisations internationales. Le Malawi quant à lui a un double système judiciaire hérité de la période coloniale et poursuivi. Le pays articule son droit et son système judiciaire selon un modèle de « legal pluralism ».

Ailleurs, en général dans les pays de droit germano-romain comme au Burkina Faso ou en République Démocratique du Congo, les programmes d’appui à la reconstruction des systèmes juridiques et judiciaires des pays ne se préoccupent pas assez de l’adaptabilité des lois aux justiciables et à ceux qui les dirigent.  Les réformes qu’ils proposent sont basées sur des modèles issus d’autres sociétés, d’autres histoires, réécrits par des experts de ces pays qui n’ont aucune connaissance des modes réels de gouvernance sur le site où ils opèrent, ni des budgets dont disposent les opérateurs pour mettre en œuvre ces réformes. Celles-ci, à partir du constat souvent pertinent de l’absence ou de la destruction du système, ajoutent aux difficultés d’appropriation du droit par les populations et même par les opérateurs de la justice. Ces réformes ne sont pas basées sur la vie économique et sociale « réelle ».

Prenons l’exemple des prisons au Burkina Faso. Tout le monde y dénonce la surpopulation et les traitements inhumains, tout un chacun sait qu’il existe une donnée sociologique constante dans tous les pays du monde qui veut que le prisonnier soit le moins bien traité de toutes les personnes vivant sur le territoire concerné. Tout le monde peut aussi savoir que la durée de vie d’une personne au Burkina, par exemple est de 60 ans pour 82 ans en France.

En conséquence de cette surpopulation, tous les programmes de développement proposent de construire de nouvelles prisons et/ou de diminuer les détentions préventives et d’appliquer mieux les procédures qui jettent en prison des innocents. Bien sûr, c’est pertinent, mais les solutions restent confinées à la loi. Or si on questionne l’adaptation de la loi au contexte,  pourquoi la durée maximale de la peine correctionnelle est-elle égale en France et au Burkina (et sans doute en Belgique et en RDC) alors que l’espérance de vie au Burkina est d’un quart inférieure ?

Autres exemples : pourquoi les délais de signification ne sont-ils pas plus longs dans ces mêmes pays, sachant que les moyens de communication sont plus lents et les distances plus compliquées à parcourir ? Pourquoi les règles sont-elles les mêmes alors que le support administratif nécessaire à cette procédure est absent ? Les cartes et les lieux de résidence n’existent pas, les justiciables ne signalent pas leur lieu de résidence, etc….. Pourquoi instaurer des tribunaux dans des villes dénuées de tout, et y envoyer des magistrats qui en reviennent après quelques jours et qu’on ne sanctionne pas pour abandon de poste parce que l’on sait que le poste est improbable.

Les exemples sont multiples mais il est difficile de résister encore à dénoncer parmi les solutions mises en œuvre pour faciliter l’accès à la justice, l’hypocrisie de l’assistance judiciaire gratuite pour les plus défavorisés, terme qui marginalise  finalement la majeure partie de la population. Un bel euphémisme qui renvoie à une autre question : celle de l’abandon des populations « en dehors ». Et pas loin de cette question, la prédation de l’Etat par des classes privilégiées occidentales et africaines.

Bidima[5], philosophe camerounais énonce le paradoxe des modèles indépendantistes francophones qui se sont identifiés soit comme ceux de la négritude, figure inversée du colonialisme, soit comme une intégration du modèle occidental. Sans préjugé politique, il est logique d’évoquer aussi ici le paradoxe actuel d’une société qui a oublié dans ses instituions son passé précolonial, celui du consensus et de la palabre, en empruntant les chemins du droit socialiste ou du droit libéral. Tout cela au moment où l’Occident emprunte justement les mécanismes plus fluides de la parole par la médiation notamment. 

La justice de l’Etat est donc souvent inadaptée à sa société mais aussi dans une certaine mesure amputée de son passé ou du système et des valeurs qui l’ont précédé. Mais il est aussi, on l’a vu plus haut, amputé de son espace puisqu’il n’opère pas sur l’ensemble de son territoire. Et le temps des conflits n’est pas non plus propice aux projets, aux desseins et à leurs dessins. Sans espace et sans temps, aucun mouvement (V=progrès) n’est plus possible (V= e:T). Dans ces vides de temps et d’espace, s’introduisent alors toutes sortes d’alternatives (religieuses, sectaires, révolutionnaires, fondamentalistes)  qui mettent en danger l’émergence de l’Etat de droit et l’existence de la société. Certains analystes étudient le phénomène d’une société qui invente sa vie collective en dehors de l’Etat, s’organise et subsiste. Cela concerne aussi la gestion des conflits. Extrêmement inventive, celle-ci emprunte aux impératifs de la nécessité, à la tradition de la palabre, à son interprétation du droit étatique, si bien que la désigner comme coutumière est source de méprise, car elle est moderne, la désigner comme informelle est également maladroit, tant le droit étatique est lui-même informalisé[6] ou déformalisé la plupart du temps. On parle donc pour le moment de mode alternatif de règlement de conflits (MARC). On pourrait encore insister sur le fait que le mot « alternatif » pourrait tout aussi bien convenir pour parler du droit germano-romain, puisque c’est le mode le moins pratiqué…Reste que la mise au ban de ces modèles par l’Etat renforce sa clandestinité et ses dérives potentielles.

Remarquons en outre que cela ne signifie pas que les populations soient opposées intrinsèquement aux institutions modernes de l’Etat, mais à partir de leur propre valeurs comme le démontrait, au Burundi, Kohlhagen dans son étude précitée : les populations veulent des juges justes, qui écoutent et qui adaptent sans mépris leurs jugements aux usages et au plurijuridisme de fait plutôt qu’ils ne désignent un gagnant et un perdant.

Mais alors pourquoi, les grands organismes et leurs poissons-pilotes, experts, ONG…continuent-ils dans la voie d’un droit étatique unique en contribuant à la marge à des études qui sont rarement suivies d’effets ? Croyance quasi magique dans le positivisme juridique partagée autant par les juristes francophones du Nord que de Sud ? Peut-être. Quel paradoxe dans ce cas !  Peur de l’écart entre les valeurs fondamentales et des pratiques endogènes ? Peut-être aussi, mais faut-il fermer les yeux ou traiter le problème ? N’y aurait-il aucune valeur universelle dans les mécanismes endogènes et les traditions ? Nous ne le pensons pas. Y a-t-il des valeurs fondamentales qui y sont enfreintes ? Nous le pensons. Mais les intégrer par du dialogue  dans un droit et une justice plus endogène sera plus facile que de les imposer dans un système inadapté.

Serions-nous finalement, comme le dit Balandier[7], tous ensemble de nouveaux sauvages, c’est-à-dire incapables de civiliser les découvertes technologiques diverses que nous nous empressons de diffuser sans en mesurer les aspects humanisants ou déshumanisants. La technologie et les innovations managériales seraient-elles un impératif duquel nous ne savons prendre distance ? Pourquoi les élites autochtones ne freinent-elles pas cette fièvre ?

A cet égard, Il existe un proverbe en Afrique centrale qui dit : « l’église a tué les interdits ». Or les interdits sont les fondements majeurs d’une civilisation. Ceux qui sont en deçà des lois, ceux de l’inceste et du parricide. Quel paradoxe que celui d’une civilisation qui a cru voir la sauvagerie qu’elle avait en elle dans la civilisation des autres et qui a construit de nouvelles  lois en foulant aux pieds les interdits de cette même civilisation. Sauvagerie projetée qui contribue peut-être à véhiculer encore aujourd’hui les stéréotypes sous une nouvelle forme et à penser que l’application du modèle occidental de « l’état de droit » sera déterminante pour son développement.

Et si c’était finalement un manque de connaissance de l’histoire coloniale judiciaire partagée par les classes dominantes du Nord et du Sud ? Les indépendances ont-elles brutalement séparé les congolais de leur passé et de leurs valeurs sociétales, clivant du même coup les classes sociales ?  Etaient-elles à ce point détruites par la colonisation ?

L’accès privilégié  au colonisateur dont ont bénéficié des congolais avant l’indépendance a peut-être influencé l’absence de mémoire de la colonie qui se joint à celle que l’on constate chez les héritiers des coloniaux et des colons. Cette absence de « mémoire et de critique des moments de ruptures » fige les gouvernants nationaux et les bailleurs internationaux dans un présent finalement continu de restauration d’un système qui n’a jamais vraiment été instauré.

Mais alors pourquoi parler de reconstruction si on méconnait l’absence de fondation de cette construction. C’est ce qui pousse E. Leroy[8] à parler de refondation plutôt que de reconstruction.

Pour reconstruire, il eut donc fallu des fondations, et pour réhabiliter, il eut fallu habiliter. Or cela a-t-il jamais fonctionné ?  Certes, quand il y avait des centaines de milliers de coloniaux et de colons en Afrique, cela marchait…pour eux. Mais pas pour les populations colonisées.

Le procureur Sohier cité plus haut, bien qu’en en avance sur son temps, ne souhaitait néanmoins pas, quand il écrivait en 1932, autre chose que la « réussite » de la colonisation. Mais sa pensée n’interdit pas de retenir son pragmatisme et le respect des populations pour leur culture et leur économie y compris celle de leurs désirs, lesquelles populations pratiquaient leurs proverbes juridiques et leur science de la parole et du geste. Ces gestes et ces paroles que Vanderlinden considère comme si importants dans la justice « coutumière », RCN en a filmé un joyau en 2014. Elle existe encore, cette justice et elle a assimilé la vie quotidienne en RDC de telle manière que sa légitimité et son adaptabilité à la modernité  semblent assez crédibles.

Que faire ? RCN fonde sa pratique et ses discours en se posant comme un éclaireur de l’applicabilité du droit selon les contextes politiques, sociaux, économiques et culturels. Posture pragmatique donc, mais qui ne peut faire l’économie de la pensée et des intellectuels souvent absents des processus de décision. N’est-il pas temps, cette fois, d’entamer, en l’occurrence en République Démocratique du Congo, une recherche-action sur ce qu’un avocat Burkina bè, Fako Ouattara, appelle l’inachèvement juridique qui relèverait tous les domaines d’inapplicabilité et de désuétude, qui prendrait en compte l’histoire juridique et judiciaire de la colonisation, les modes existants de gestion de conflits, le plurijuridisme de fait, des échecs des innovations tentées soit par le retour aux traditions , soit par la modernisation jusqu’à nos jours ? Elle veillerait à modéliser également la méthodologie de rédaction des lois au-delà des doctes formations en légistique. Sa finalité serait de proposer une réforme endogène du système judiciaire, sans rejeter le droit étatique.

Elle serait menée de concert par les universitaires de plusieurs disciplines de sciences humaines : sociologues, anthropologues, psychologues, politologues, juristes congolais et étrangers africains et européens  déjà alertés et désireux d’une refondation de la justice des Etats. S’y joindraient les praticiens du développement: les magistrats, les juges « coutumiers », les ONG congolaises et étrangères concernées.  Elle contribuerait à proposer de remodeler le système judiciaire et les droits civil et pénal en les adaptant à la réalité socio-économique et culturelle des diverses sociétés qui peuplent la République démocratique du Congo. Elle transformerait la relation entre les nationaux et les internationaux en explicitant leur histoire commune et de leurs différences et entamerait un processus beaucoup plus endogène et transformatif de construction ou de refondation…. Si le temps et l’espace sont retrouvés, alors le progrès sera possible (V=e/t). La justice sera moderne.

Dans cette perspective, le procès qui opposera les femmes métisses (4 belges et 1 française) portant plainte pour crimes contre l’Humanité contre l’Etat belge qui s’annonce en Belgique est une chance. Le temps s’est arrêté pour les plaignantes il y a trop longtemps, car aucun accès à la justice ne leur était ouvert. Le passé tu jusqu’à présent sera donc traité dans le prétoire. Il fera date. Un nouveau chapitre pourra s’ouvrir. François Ost dirait peut-être qu’il libérera le temps…..La justice belge est donc liée au processus de reconstruction de la mémoire, comme elle est liée à celui de sa sauvegarde lors des jugements du génocide.

Décoloniser est un mot que l’actualité met depuis peu en avant. Dans le journal du soir du 20 juillet 2020 on lisait « Commission décolonisation… ». Le mot peut susciter la polémique : pourquoi revenir à la décolonisation, elle a déjà eu lieu, non ? Pourquoi les belges pensent-ils devoir décoloniser ? Les congolais sont indépendants depuis belle lurette…Pour qui se prennent-ils ? Certes, mais ce serait mal comprendre notre intention. Il s’agit d’un point de vue sur la justice, non sur le politique d’une part. D’autre part, il s’agit d’une offre qui vise un travail et une volonté commune d’apporter un appui à une justice endogène, donc dépouillée le plus possible des stéréotypes dont nous sommes tous dépositaires, à notre corps défendant ou pas. Tout comme nous sommes tous encore engagés dans la logique du développement, quel que soit notre rapport à l’histoire : anciens colons, anciens colonisés, puis indépendants et postcoloniaux, puis nationaux et internationaux, nous sommes parfois encore gouvernés par notre passé…..Et si décoloniser encore il faut, nous commencerons par nous-mêmes.  L’histoire ne se répète pas, mais elle bégaie.

Pierre Vincke, pour RCN Justice & Démocratie


[1] Revue juridique du Congo belge, Etudes doctrinales Janvier 1932

[2] Pohu,  La justice de proximité au Bas Congo, Liwerant, Kabuya, Kayombo, le fonctionnement des GAV ; Ferrari, Tchibalanga : les modes de résolution formels et informels des conflits fonciers ; Mulagano, Mugeni, les chambres de conciliation dans le territoire de Fizi

[3] (D.Kolhagen La justice en milieu rural, plurijuridisme, le tribunal face au terrain, Oser un modèle de JT au Burundi, édition Université St Louis, avec des auteurs Françoise Digneffe, André Guichaoua, Melchior Mukuri)

[4] Marko Lankhorst, la justice de proximité au Rwanda, les modes de gestion des conflits fonciers

[5] La palabre, une juridiction de la parole

[6] Ne peut-on pas penser que les efforts d’informatisation dans les pays précités échouent du fait du décalage entre le droit formel par nature et sa pratique informelle ? Une fois informatisé, tout acte informel est rejeté. L’outil est alors abandonné.

[7] La situation coloniale : ancien concept, nouvelle réalité », in French Politics, Culture & Society, 2002, 20, 2, p. 4-10

[8] Les africains et l’Institution de la Justice, Dalloz


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